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INCIDENCE DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 SUR LES BESOINS D’INTERPRÉTATION ET DE TRADUCTION DES USAGERS DES TRIBUNAUX

Déclaration du Comité d’action

Notre comité existe afin d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID-19 tout en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se soutiennent mutuellement guident tous nos efforts.

La pandémie de COVID-19 a mis en relief, et dans certains cas accentué ou même créé, des obstacles qui entravent l’accès à la justice pour de nombreuses personnes au Canada. À cet égard, l’incidence de la pandémie se fait ressentir de façon très inégale au sein de la population, certains groupes étant touchés de façon disproportionnée, particulièrement les personnes marginalisées.

Le présent document, qui s’appuie sur celui intitulé Examen de l’incidence disproportionnée de la pandémie de COVID-19 sur l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, traite de l’incidence particulière de la pandémie sur les communautés anglophones, francophones et autochtones ainsi que les autres communautés linguistiques en situation minoritaire, dans leurs interactions avec le système judiciaire. Plus précisément, il vise ce qui suit :

  • souligner l’importance et le rôle fondamental de l’interprétation orale des audiences judiciaires et de la traduction écrite des renseignements judiciaires pour l’accès à la justice
  • expliquer l’incidence de la pandémie sur ces services judiciaires, et son incidence disproportionnée sur les communautés linguistiques en situation minoritaire
  • offrir quelques réflexions sur les solutions pratiques ou prometteuses qui ont vu le jour dans certains ressorts pour favoriser l’accès à la justice dans les communautés linguistiques en situation minoritaire

1. CONTEXTE

Afin d’assurer un accès équitable aux services judiciaires, il est essentiel de fournir en temps opportun des services de haute qualité pour l’interprétation des audiences et la traduction des renseignements judiciaires, particulièrement dans un contexte qui évolue constamment en fonction des directives de santé publique.

La langue des procès et des renseignements judiciaires peut avoir une incidence disproportionnée sur les personnes touchées par d’importants facteurs de vulnérabilité souvent entrecroisés; c’est notamment le cas des minorités de langue officielle, des personnes qui ne parlent ni anglais ni français, des personnes âgées, des personnes immigrantes ou réfugiées, des personnes ayant des défis liés à l’alphabétisme ou à la technologie, des Autochtones, des membres de communautés éloignées et des personnes ayant une déficience visuelle ou auditive.

En octobre 2020, le Commissariat aux langues officielles a publié un rapport intitulé Une question de respect et de sécurité : l’incidence des situations d’urgence sur les langues officielles 1. Le commissaire a fait remarquer que les urgences sont inévitables, et qu’en situation d’urgence « le non-respect de la Loi par les institutions fédérales peut compromettre la santé et la sécurité publiques non seulement des membres des communautés de langue officielle en situation minoritaire, mais aussi celles de l’ensemble de la population canadienne ». Le commissaire a recommandé que les institutions fédérales élaborent et mettent en œuvre un plan d’action afin de veiller à ce que des outils et des structures convenables soient en place pour faciliter la rédaction et la diffusion simultanée de communications d’urgence de qualité égale dans les deux langues officielles. Le Comité d’action espère que le présent document y contribuera.

Ce document est axé sur les effets de la pandémie à deux égards : 1) l’interprétation orale dans le cadre des instances judiciaires; 2) le besoin et la disponibilité de la traduction écrite des renseignements judiciaires, par exemple la signalisation et d’autres directives de santé publique dans les installations judiciaires.

Les éléments d’information et d’analyse présentés dans ce document sont tirés des sources suivantes : réponses détaillées à un sondage réalisé par les Chefs de l’administration des tribunaux (CAT); discussions de suivi avec du personnel des tribunaux; recherches juridiques; et analyse de contexte fondée sur certains rapports d’experts en droits linguistiques dans le contexte de la COVID-19.

2. IMPORTANCE DE LA LANGUE POUR L’ACCÈS À LA JUSTICE

Le Canada est un pays multilingue depuis des temps immémoriaux. Avant l’arrivée des Européens et de leurs langues, de nombreuses langues autochtones étaient parlées sur ce territoire. Depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 19822 , le Canada se définit comme un pays bilingue, où l’anglais et le français sont les deux langues officielles et ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. En outre, les langues autochtones ont acquis une reconnaissance importante au cours des dernières décennies. La protection et la promotion de l’anglais, du français, des langues autochtones et des autres langues représente un aspect fondamental de l’équité sociale et, dans le contexte des tribunaux, de l’accès à la justice pour tous les membres de notre société.

2.1. Français et anglais

Sur le plan fédéral, la Loi constitutionnelle de 1982 confirme le droit d’utiliser aussi bien le français que l’anglais devant tous les tribunaux établis par le Parlement du Canada ou par les assemblées législatives du Québec ou du Nouveau-Brunswick. L’usage du français ou de l’anglais dans les causes civiles instruites par les tribunaux fédéraux est protégé par la Loi sur les langues officielles3. Dans les causes pénales, le Code criminel du Canada garantit aux personnes accusées d’un crime le droit d’utiliser le français ou l’anglais pour leur enquête préliminaire et leur procès, et les personnes dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français peuvent y utiliser la langue officielle dans laquelle elles sont le plus à l’aise. De même, les témoins ont le droit de rendre leur témoignage dans la langue officielle de leur choix. Ces garanties fédérales applicables à l’anglais et au français, et l’interprétation depuis et vers d’autres langues dans les instances pénales, jouent aussi un rôle important dans la confirmation d’autres protections juridiques établies par la Charte.

À l’échelle provinciale, le droit d’utiliser aussi bien le français que l’anglais dans les tribunaux du Manitoba a été prévu dans la loi fondatrice de la province, en 18705. Selon la Loi constitutionnelle de 1982, le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue. L’égalité de statut du français et de l’anglais ainsi que les droits et obligations quant à leur usage respectif sont aussi énoncés dans la Loi sur les langues officielles de la province6. Plusieurs autres provinces ont adopté des lois exigeant que des services publics soient offerts en français dans certains contextes, ou dans des régions où il y a une importante population francophone; c’est notamment le cas de la Loi sur les services en français en Ontario7 et de la Loi linguistique en Alberta8. La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a récemment lancé un projet pilote visant à accroître les services en français, dont le présent document traite plus loin.

2.2. Langues autochtones

Sur la question des langues d’usage au Canada, il faut reconnaître la nécessité de déployer des efforts pour protéger et revitaliser les langues autochtones auxquelles le colonialisme a porté atteinte.

Par exemple, la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest9 reconnaît onze langues officielles, soit l’anglais et le français ainsi que neuf langues autochtones : le chipewyan (dëne sųłıné yatıé), le cri (nehiyawewin), l’esclave du Nord (Sahtúotʼı̨nę Yatı̨́), l’esclave du Sud (dene zhatıé), le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô. Fait important, cette loi garantit le droit d’employer ces langues devant les tribunaux territoriaux. La prestation de services d’interprétation de haute qualité en langues autochtones par les tribunaux des Territoires du Nord-Ouest représente un exemple notable qui sera traité plus loin.

Sur le plan fédéral, la Loi sur les langues autochtones10 a établie le Bureau du commissaire aux langues autochtones. Ce Bureau est doté de pouvoirs destinés à soutenir et à promouvoir l’usage des langues autochtones ainsi qu’à soutenir les peuples autochtones dans leurs efforts visant à se réapproprier leurs langues ainsi qu’à les revitaliser, à les maintenir et à les renforcer. Sur demande émanant d’une collectivité, d’un gouvernement ou d’un autre corps dirigeant autochtones, le Bureau du commissaire peut soutenir la partie concernée dans ses efforts pour établir des normes de certification pour les traducteurs et les interprètes. Ces normes de certification pourraient aider les tribunaux à assurer des services de traduction et d’interprétation de haute qualité à l’avenir.

En vertu de cette loi, le ministre du Patrimoine canadien peut aussi collaborer en ce sens avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones ainsi qu’avec d’autres entités autochtones afin de soutenir des programmes et des services aux Autochtones en matière d’administration de la justice. Ces collaborations peuvent amener la création d’outils supplémentaires pour permettre aux Autochtones d’accéder à la justice dans leur propre langue.

2.3 Langues non officielles

Au-delà de l’anglais, du français et des langues autochtones, une panoplie d’autres langues sont utilisées par la population canadienne. La disponibilité des services d’interprétation et de traduction dans ces autres langues représente un aspect nécessaire des discussions concernant l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, en particulier les personnes établies depuis peu au Canada, qui ne maîtrisent pas forcément la langue de la majorité ou la terminologie du système juridique. C’est aussi un important droit juridique que la Charte garantit aux personnes accusées11.

Les services judiciaires en langues non officielles sont souvent fournis de façon ponctuelle, quand les besoins se présentent en cours d’instance, particulièrement dans les affaires pénales, ou quand une personne demande l’assistance du personnel administratif d’un tribunal. Cela peut occasionner des retards dans les services, des ajournements d’audience et des préoccupations quant à la qualité des services de traduction et d’interprétation, ce qui est d’autant plus vrai dans les situations d’urgence.

Les responsables de certains ressorts ont cherché à répondre aux besoins des usagers non anglophones et non francophones des tribunaux en diffusant les traductions de certains documents importants dans plusieurs autres langues. Par exemple, la Colombie-Britannique a fait traduire en neuf langues le formulaire de déclaration de la victime, ce qui permet à la personne concernée de le lire et de le remplir dans sa propre langue avant que le tribunal fasse traduire ses réponses en anglais.

En Ontario, l'Unité des services d'interprétation judiciaire, Division des services au tribunaux du ministère du Procureur général a déployé des efforts pour améliorer son Registre des interprètes judiciaires indépendants agréés afin d'assurer la disponibilité de services d'interprétation de haute qualité pour les langues moins utilisées. Cette unité a collaboré avec Statistiques Canada pour obtenir des données pertinentes, et a créé des profils pour plusieurs de ces langues, dont l'amharique, le fuzhou, le géorgien, le rohingya, le cebuano et le lingala. Ces profils fournissent un aperçu général de la langue en question, y compris le pays d'origine, le nombre de locuteurs dans le monde et en Ontario, et de toute organisation officielle au Canada, afin de faciliter le recrutement d'interprètes. Cette unité s'est également engagée dans un recrutement ciblé d'interprètes, notamment elle :

  • présente aux collèges de l'Ontario le programme d'agrément afin d'attirer des étudiants et des anciens élèves et de développer une réserve de talents;
  • communique avec divers organismes communautaires et associations culturelles, ainsi qu’avec les ambassades et consulats de pays étrangers;
  • favorise le recrutement dans des carrefours communautaires non traditionnels, tant en personne qu’en ligne.

3. INCIDENCE DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 SUR LES SERVICES D’INTERPRÉTATION

L’interprétation des audiences judiciaires et du langage juridique exige une compétence spécialisée et représente un service essentiel, qui favorise l’accès à la justice pour de nombreuses personnes marginalisées qui ne parlent ni anglais ni français.

3.1 Services d’interprétation préexistants

Bon nombre de tribunaux ont connu une pénurie d’interprètes qualifiés avant la pandémie, particulièrement dans les ressorts nordiques et ceux de petite taille, et pour les langues relativement peu parlées. Dans certains ressorts, les responsables des tribunaux ont proactivement pris contact avec les membres des communautés et ont collaboré avec eux pour constituer un bassin local d’interprètes dûment formés. Plusieurs tribunaux ont recours aux services de Language Line – une entreprise privée d’interprétation par téléphone – particulièrement pour les affaires courtes et urgentes.

En mai 2019, le groupe de travail des CAT sur l’interprétation judiciaire a publié un document de pratiques exemplaires sur la prestation à distance des services d’interprétation, afin de guider les tribunaux qui envisageaient de commencer à y recourir ou d’en accroître l’usage. Ainsi, grâce à la prévoyance de ce groupe de travail, les tribunaux étaient bien préparés pour s’adapter rapidement aux défis engendrés par la pandémie de COVID-19.

Avant la pandémie, les services d’interprétation à distance se limitaient aux situations où l’interprétation en personne n’était pas une option réaliste ou aurait coûté beaucoup trop cher, et où la prestation d’un service à distance ne risque pas de compromettre la qualité de l’interprétation. Ces services étaient généralement employés pour des audiences de courte durée exigeant un seul interprète, par exemple les audiences sur le cautionnement, les plaidoyers, les mises en accusation, les infractions aux règlements de la circulation routière, les instances en cour des petites créances, les injonctions ainsi que les affaires de droit familial et de protection de la jeunesse.

L’utilisation prolongée d’équipement inadéquat peut causer aux interprètes des problèmes d’ouïe à long terme. C’est pourquoi le groupe de travail a fixé des normes d’équipement afin d’assurer un service de qualité optimale : son et image claire, synchronisation des lèvres et stabilité de la connexion. Il a précisé les normes matérielles et logicielles auxquelles doivent satisfaire les ordinateurs et l’équipement de vidéoconférence au tribunal, ainsi que les casques d’écoute des interprètes.

De même, le Bureau de la traduction du Canada, principal fournisseur de services d’interprétation aux tribunaux fédéraux et à certains tribunaux provinciaux et territoriaux, a établi des exigences techniques pour la traduction simultanée, d’après la norme 20109 : 2016 de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Les exigences pour l’interprétation à distance comprennent l’utilisation d’un micro unidirectionnel, le réglage du volume, des normes de synchronisation du son et de l’image, ainsi que des exigences techniques liées aux ordinateurs portables, à la bande passante et aux caméras.

Bien que leur utilité concrète ne soit pas forcément évidente pour les non-spécialistes, ces normes techniques sont essentielles pour assurer la qualité de l’interprétation offerte à toutes les personnes qui subissent un procès ou y jouent un rôle, et pour veiller à la santé et à la sécurité des interprètes eux-mêmes, de façon à assurer l’accès à la justice pour les usagers des tribunaux dans toutes les langues.

3.2 Incidence de la pandémie sur les services d’interprétation

La pandémie a eu trois incidences principales sur les services d’interprétation : elle a limité la capacité des tribunaux d’obtenir des services d’interprétation sur place, a entraîné une acceptation générale de l’interprétation virtuelle, et a suscité le besoin de prévoir des espaces et des ressources supplémentaires pour assurer le respect des règles de distanciation physique.

3.2.1. Pénurie d’interprètes

La pandémie a rendu encore plus difficile l’obtention de services d’interprétation sur place, étant donné les restrictions de déplacement et les exigences de quarantaine. De plus, certains interprètes sont maintenant réticents à se déplacer en raison des préoccupations en matière de santé et de sécurité.

Le manque d’interprètes se fait particulièrement sentir dans les territoires, où il y avait déjà pénurie. Pour assurer la prestation de services d’interprétation sur place, les tribunaux du Yukon ont collaboré avec les autorités de santé publique afin de désigner des interprètes venant de l’extérieur du territoire comme des travailleurs essentiels, de façon ponctuelle à chaque audience, afin de les exempter des exigences de quarantaine.

Les ressorts où les interprètes proviennent principalement de communautés locales ont eu moins de problèmes liés aux déplacements, mais ont tout de même connu une pénurie du fait que certains interprètes sont tombés malades ou devaient prendre des précautions en matière de santé.

Dans les tribunaux qui instruisent des affaires de sécurité nationale, dont la Cour fédérale, la pénurie d’interprètes a été accentuée par l’exigence d’une cote de sécurité de niveau supérieur.

3.2.2. Adaptation virtuelle

Le début de la pandémie en mars 2020 est venu inverser le questionnement de départ des tribunaux : plutôt que d’envisager par défaut l’interprétation sur place et de se demander si le fait de permettre l’interprétation à distance servirait les intérêts de la justice, les tribunaux doivent maintenant se demander dans quels cas il est justifié d’exiger l’interprétation sur place.

L’acceptation accrue de l’interprétation à distance représente un énorme avantage pour les administrateurs des tribunaux et les communautés linguistiques en situation minoritaire, en assurant un accès continu au système judiciaire malgré la pandémie. Même quand la pandémie sera derrière nous, cette acceptation de l’interprétation à distance, et des audiences virtuelles en général, pourrait contribuer à assurer un accès aux tribunaux en temps opportun, peu importe la langue du tribunal ou des personnes concernées.

Ces avantages sont toutefois assujettis à une condition importante : la qualité de l’interprétation doit demeurer adéquate. La plupart des tribunaux ont constaté des difficultés par rapport à l’interprétation à distance en raison des chevauchements de voix dans les systèmes audio. Comme le discours original et interprété doivent tous deux figurer au dossier du tribunal, cela a entraîné un passage à l'interprétation consécutive et des procès considérablement allongés, jusqu'à ce qu'une solution puisse être trouvée par les fournisseurs de services des plateformes virtuelles. Les interprètes ont quant à eux désigné la mauvaise qualité du son comme une cause d’augmentation des arrêts de travail pour problèmes de santé, ce qui vient exacerber la pénurie d’interprètes12.

Pour résoudre les préoccupations concernant la qualité sonore ainsi que la santé et la sécurité des interprètes, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale ont commencé à déployer de l’équipement audio de haute qualité aux parties et aux avocats. La Cour d’appel fédérale a travaillé avec son service des TI pour veiller à ce que les audiences avec interprétation passent en priorité dans l’attribution de la bande passante.

Malgré les défis technologiques, les instances virtuelles ont contribué en général à rendre les services d’interprétation plus accessibles. Cela s’avérera sans doute un héritage durable de la pandémie sur le système judiciaire.

3.2.3. Adaptation aux exigences de distanciation physique dans les installations judiciaires

Dès le début de la pandémie, les tribunaux ont dû réaménager ou rénover leurs installations pour assurer la distanciation physique entre tous les participants, y compris les interprètes, qui travaillent souvent en duo très près les uns des autres.

La Colombie-Britannique a effectué un essai pilote avec de l’équipement d’assistance pour l’« interprétation chuchotée », qui permet la distanciation physique entre l’interprète et la personne non anglophone.

4. INCIDENCE DE LA PANDÉMIE SUR LES SERVICES DE TRADUCTION

La traduction de renseignements sur les pratiques et les instances judiciaires, et sur les mesures de santé et de sécurité en vigueur dans les installations judiciaires, contribue à assurer l’accès à la justice aux usagers des tribunaux qui appartiennent à des communautés linguistiques en situation minoritaire tout en protégeant leur santé et leur sécurité.

4.1 Services de traduction préexistants

Bon nombre de tribunaux ont une procédure de traduction bien établie, ancrée dans des politiques ou des dispositions législatives, qui exige la traduction proactive de certains documents vers l’anglais ou le français et, dans certains ressorts, vers des langues autochtones locales.

Dans bien des cas, les règles de procédure sont rédigées tant en français qu’en anglais, et les deux versions sont diffusées en même temps. Certains tribunaux, particulièrement ceux de ressort fédéral, publient leurs notes de pratique et leurs jugements simultanément en français et en anglais, conformément à ce que prévoient les politiques ou les dispositions législatives en vigueur. Dans la plupart des ressorts, les tribunaux de première instance traduisent proactivement certains renseignements vers l’anglais ou le français et les affichent dans les installations judiciaires ou en ligne, soit sur leur propre site Web ou sur celui du ministère concerné. Cette pratique est particulièrement courante pour les renseignements relatifs aux affaires pénales.

En général, la traduction passe par une combinaison de fournisseurs de services internes et contractuels (p. ex. le Bureau de la traduction du Canada ou des équivalents provinciaux). Les documents de faible complexité, tels que les directives ou les renseignements généraux, ont surtout tendance à être traduits à l’interne. Dans la plupart des ressorts, pour assurer la qualité du travail, on a recours à des professionnels qui s’y connaissent bien en traduction juridique. Un certain nombre de provinces et de territoires tiennent une liste de fournisseurs, préparée par leur service d’approvisionnement.

4.2 Incidence de la pandémie sur les services de traduction

Selon ce que les tribunaux ont rapporté, les deux principaux défis engendrés par la pandémie ont été d’assurer la traduction en temps opportun des documents urgents, et la transmission sécurisée des documents aux traducteurs.

4.2.1. Demande et retards

Bien que les responsables de certains ressorts on aient noté que la pandémie avait exigé la traduction de renseignements supplémentaires liés aux activités judiciaires (p. ex. mise à jour des plans opérationnels, avis concernant les mesures sanitaires), la demande de traduction de la part des usagers des tribunaux n’a pas beaucoup augmenté au cours de la même période.

Les outils et services de traduction établis ont pu s’adapter en grande partie à la réalité de la pandémie, quoique les responsables de certains ressorts aient fait état de retards dans la réception des traductions, particulièrement lorsque les services passaient par des contrats gérés par un autre ministère. Afin d’assurer l’obtention en temps opportun, particulièrement pour les documents demandés à court préavis, les tribunaux de la Colombie-Britannique ont travaillé avec leur service d’approvisionnement en vue d’obtenir leurs services de traduction au moyen d’un processus d’approvisionnement ouvert.

4.2.2 Transmission électronique des documents

La transmission des documents aux traducteurs a été compliquée par l’exigence du télétravail, et encore plus par les préoccupations au début de la pandémie concernant la transmission de la maladie par contact avec des surfaces. C’était particulièrement problématique pour les documents confidentiels dont la transmission électronique exige l’utilisation de systèmes sécurisés, et pour les fichiers trop gros pour être envoyés facilement.

Pour remédier à ces difficultés, les tribunaux ont établi des protocoles sécurisés permettant la transmission de renseignements de nature délicate.

5. ÉTUDES DE CAS

Afin de mieux comprendre les incidences de la pandémie sur les besoins linguistiques des usagers des tribunaux, de même que la capacité des tribunaux de fournir des services d’interprétation et de traduction de façon continue, le secrétariat du Comité d’action s’est entretenu avec plusieurs juges et administrateurs des tribunaux pour en apprendre davantage sur leurs expériences en la matière.

5.1 Cour du banc de la Reine de l’Alberta – services en français

En Alberta, les droits linguistiques sont encadrés par diverses lois fédérales, dont le Code criminel et la Loi sur le divorce (dont les dispositions linguistiques ne sont pas encore en vigueur dans cette province), de même que par la Loi linguistique de la province. La Cour du banc de la Reine a cherché par différents moyens à donner un sens pratique aux droits linguistiques fédéraux et provinciaux, notamment par l’intermédiaire d’un Comité directeur sur le français et l’interprétation. La Cour compte actuellement sept juges et plusieurs greffiers capables de tenir des procès en français ou bilingues, et elle a aussi accès à Language Line, un service d’interprétation sur demande par téléphone, grâce à un contrat avec le gouvernement de l’Alberta.

Malgré tout, la Cour a souvent eu de la difficulté à déterminer en temps opportun les besoins linguistiques des parties, ce qui mène parfois à des ajournements ou à des retards, le temps de trouver du personnel judiciaire francophone ou des interprètes. De plus, la Cour constate depuis deux ou trois ans une augmentation des demandes de procès en français ou bilingues, qui sont passées d’à peine quelques-unes à une bonne douzaine au cours des six derniers mois de 2020.

Pour assurer l’accès à des services en français, la Cour a élaboré une politique qui s’est concrétisée à peu près au même moment où la COVID-19 a frappé les tribunaux en 2020, et qui a été mise à l’essai dans le cadre d’un projet pilote. Le moment s’est avéré opportun, puisque cela a permis à la Cour de répondre à la demande accrue pendant la crise, au moyen de services préexistants.

La politique comporte deux volets. Le premier, à caractère interne, consiste notamment à former tout le personnel de la Cour pour veiller à ce que tous comprennent bien l’obligation de respecter les droits linguistiques. Il comprend aussi le recours à des listes de vérification pour le personnel et les juges, et la mise en place d’une politique d’embauche. Le second volet englobe quelques initiatives nouvelles et d’autres qui ont précédé la politique sur les services en français, mais qui ont été améliorées par son application. La Cour offre proactivement des services aux usagers francophones, par exemple en leur faisant jouer un enregistrement dans les procès pénaux pour les informer de leurs droits, et en prévoyant une case sur le formulaire de nomination d’un avocat pour que la personne accusée confirme avoir été informée de ses droits linguistiques. Dans le domaine du droit familial, l’Avis de comparution devant le tribunal de la famille exige des renseignements sur les besoins linguistiques. La Cour a publié de l’information en français sur son site Web, et elle s’affaire à en publier à nouveau.

La Cour a proactivement mis en place un moyen d’informer rapidement les justiciables à l’aide d’un site Web public permettant de déterminer les services requis en français dès le début d’une cause, au moyen du formulaire d’avis et demande d’audience en français qui se trouve sur son site Web.

Fait important à noter : Dans le cadre de cette politique, la Cour a créé le poste d’« avocat-conseil des services en français et interprètes ». Au cours du projet pilote, la titulaire du poste conseillera le tribunal sur les questions liées aux services linguistiques, communiquera avec les avocats relativement à leurs affaires en français ou bilingues, répondra aux questions en français du public et des médias, assurera la liaison avec les coordonnateurs de l’interprétation qui réservent les interprètes pour la Cour, participera aux comités liés au travail des interprètes, recueillera des statistiques pertinentes et préparera périodiquement des rapports statistiques. C’est cette même personne qui reçoit les questions et demandes de services en français envoyées à une nouvelle adresse courriel réservée à cette fin. Cette adresse a été très utilisée au cours des premiers mois. Le fait de charger une même personne de recevoir toutes les demandes a permis à la Cour de commencer à déterminer les besoins le plus tôt possible dans le processus judiciaire et à en faire le suivi continu. Les données recueillies au moyen de cette initiative comprendront toutes les affaires instruites en français, depuis les demandes rapides traitées en chambre jusqu’aux plus longs procès.

Le projet pilote a déjà permis des économies de temps, puisque les besoins ont pu être déterminés rapidement, évitant ainsi certains ajournements.

5.2. Tribunaux des Territoires du Nord-Ouest – interprétation en langues autochtones

La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest garantit le droit d’obtenir des services judiciaires dans 11 langues officielles. Pour fournir ces services aux communautés de langue autochtone, les greffes des tribunaux des Territoires du Nord-Ouest ont identifié des membres des communautés qui ont la formation et l’expérience nécessaires pour interpréter la terminologie juridique à l’intention des usagers des tribunaux. Cela permet aux tribunaux de fournir des services d’interprétation de qualité sans que des interprètes n’aient à se rendre en avion dans les communautés concernées. Néanmoins, au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus difficile de trouver des personnes parlant couramment certaines langues, particulièrement les dialectes inuits, puisque les communautés comptent de moins en moins de locuteurs pouvant être formés comme interprètes.

Il n’en demeure pas moins que ce système préexistant a démontré ses avantages tout au long de la pandémie. Le fait de pouvoir compter sur un système d’interprètes locaux pour les langues autochtones a permis d’assurer un service continu et d’éviter d’avoir à faire venir par avion des interprètes de l’extérieur, qui risqueraient d’apporter le virus avec eux. Cependant, ce système a été fragilisé par la pandémie, étant donné le risque que les interprètes disponibles soient infectés par le virus ou y soient exposés. Il peut arriver que d’autres membres de la communauté soient en mesure de fournir des services d’interprétation en langues autochtones, mais ils n’ont pas nécessairement l’expérience et la formation nécessaires par rapport au langage juridique. Cela oblige donc les greffes à investir plus de temps afin de trouver des interprètes de remplacement, particulièrement pour s’assurer que l’interprète concerné n’est pas en conflit d’intérêts par rapport aux parties au procès (p. ex. en raison de liens familiaux). Il faut aussi passer plus de temps pendant l’instruction de l’affaire pour vérifier la compréhension du langage juridique.

La pandémie a fait ressortir la nécessité d’assurer la disponibilité d’un nombre suffisant d’interprètes, dotés d’une formation adaptée au contexte juridique, afin de répondre aux urgences éventuelles. Le système préexistant d’interprètes locaux pour les langues autochtones s’est montré résilient tout au long de la pandémie, contribuant à assurer un accès continu à la justice pour les locuteurs de langues autochtones dans le Nord à un moment où l’accès à l’interprétation dans d’autres langues est devenu difficile.

6. PRATIQUES PROMETTEUSES

Les tribunaux et leurs usagers ont bénéficié d’outils et de pratiques biens établis en matière d’interprétation orale lors des audiences et de traduction écrite d’informations judiciaires, qui ont largement pu s’adapter rapidement aux pratiques virtuelles requises pendant la pandémie. Néanmoins, certaines difficultés se sont présentées, et il en a résulté bon nombre de pratiques que les tribunaux du pays auraient peut-être avantage à adopter, dès maintenant et même après la pandémie, pour améliorer l’accès à la justice pour les communautés linguistiques en situation minoritaire. En voici des exemples, qui ne constituent toutefois pas une liste exhaustive :

6.1. Pratiques d’interprétation prometteuses

  • Les tribunaux devraient intégrer la réponse aux besoins d’interprétation dans leur préparation aux asdfsiTtuations d’urgence, y compris dans les plans de continuité des activités et la formation du personnel judiciaire.
  • L’identification rapide des besoins linguistiques - notamment au moyen de formulaires publics ou de discussions proactives avec des avocats ou des membres désignés du personnel judiciaire - peut permettre des économies de temps et d’efforts et prévenir les ajournements ou les retards dans l’obtention des services.
  • Le fait de collaborer avec les gouvernements locaux, les associations juridiques, et les organisations de la société civile qui servent les communautés linguistiques minoritaires pour déterminer les langues utilisées dans la communauté peut aider les tribunaux à prévoir les besoins d’interprétation dans certaines langues en particulier.
  • Le fait de travailler proactivement avec les communautés linguistiques en situation minoritaire pour désigner et former plusieurs personnes pouvant servir d’interprètes peut contribuer à assurer le maintien des services en cas d’indisponibilité d’un interprète pour cause de maladie ou de conflit d’intérêts.
  • Le fait de charger une même personne de faire le suivi des statistiques, de déterminer les besoins et d’aider à la coordination dès le début, contribue à combler les lacunes statistiques et à assurer une coordination efficace des services d’interprétation.
  • En temps de crise, la pénurie d’interprètes peut être atténuée par la collaboration avec les autorités de santé publique de façon à permettre aux interprètes de voyager et à les exempter des exigences de quarantaine.
  • Pour veiller à ce que toutes les parties disposent d’un équipement de haute qualité, aussi bien pour assurer la clarté audio pendant les audiences que pour éviter des lésions professionnelles aux interprètes, il peut être nécessaire pour les tribunaux d’établir des normes d’équipement pour les usagers ou de leur fournir l’équipement audio nécessaire pour leur audience.
  • Le fait d’offrir des formations et de prévoir un peu de temps avant les audiences pour tester l’équipement et se familiariser avec son fonctionnement peut aider les usagers des tribunaux et les interprètes à bien utiliser le système d’interprétation à distance, à éviter des retards pendant les audiences et à prévenir les erreurs de communication.

6.2. Pratiques de traduction prometteuses

  • Les tribunaux devraient intégrer la réponse aux besoins de traduction dans leur préparation aux situations d’urgence, y compris dans les plans de continuité des activités et la formation du personnel judiciaire.
  • Les autorités concernées auraient peut-être avantage à utiliser des processus d’approvisionnement ouverts ou des offres permanentes auxquelles elles pourront recourir rapidement pour répondre à une hausse des demandes de traduction en cas de crise.
  • Le fait de collaborer avec les gouvernements locaux, les associations juridiques, et les organisations de la société civile qui servent les communautés linguistiques minoritaires pour déterminer les langues utilisées dans la communauté peut aider les tribunaux à déterminer les besoins en traduction de leurs renseignements dans certaines langues en particulier.
  • En fournissant proactivement, dans d’autres langues que l’anglais et le français, la traduction de renseignements sur les processus judiciaires et de certains formulaires et gabarits à usage judiciaire, notamment la déclaration de la victime, on améliore l’accès à la justice pour les communautés linguistiques en situation minoritaire et on contribue à assurer le maintien des services dans les situations d’urgence.

6.3. Pistes d’études pour l’avenir

Dans tous les ressorts, les autorités ont noté qu’elles ne tenaient pas de statistiques détaillées sur les langues utilisées dans les tribunaux, au-delà de la langue de l’audience. Le manque de données à cet égard pourrait cacher des besoins linguistiques non rencontrés, particulièrement pour les usagers qui parlent des langues non officielles. La collecte de données ventilées sur les langues utilisées dans la communauté entourant les installations judiciaires, et sur celles utilisées par les récents usagers du tribunal, pourrait permettre aux tribunaux de mieux prévoir les besoins d’interprétation et d’assurer la traduction proactive de documents ou de renseignements judiciaires, notamment en ce qui concerne les mesures de santé publique, dans l’éventualité d’une situation d’urgence.

Les efforts visant à revitaliser les langues autochtones et à mieux intégrer les lois autochtones dans le système juridique du pays pourraient aussi stimuler l’intérêt pour l’interprétation et la traduction en langues autochtones. Comme le mentionne le document établir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtonesR, des centres de justice communautaires travaillent déjà en ce sens en Colombie-Britannique.

Enfin, les exigences en matière d'interprétation devraient être prises en considération dans la décision de tenir des audiences en personne ou virtuellement. Le manque de disponibilité de la technologie requise pour une interprétation de haute qualité peut avoir un impact disproportionné sur l'accès à la justice pour les communautés linguistiques minoritaires à l'avenir.



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1Commissariat aux langues officielles (CLO), Une question de respect et de sécurité : l’incidence des situations d’urgence sur les langues officielles (octobre 2020) (rapport du CLO).
2Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [Charte].
3L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.).
4L.R.C. (1985), ch. C-46, partie XVII.
5Acte pour amender et continuer l’acte trente-deux et trente-trois Victoria, chapitre trois, et pour établir et constituer le gouvernement de la province de Manitoba, 33 Victoria, ch. 3 (Canada).
6L.N.B. 2002, ch. O-0.5.
7L.R.O. 1990, ch. F.23.
8RSA 2000, ch. L-6.
9L.R.T.N.-O. 1988, ch. O-1.
10L.C. 2019, ch. 23.
11Charte, supra note 2, art 14.
12Chambre des communes, 43e législature, 1re session, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (4 mai 2021), témoignages : Greg Phillips, président, Association canadienne des employés professionnels; Nicole Gagnon, chargée de la représentation, Association internationale des interprètes de conférence : https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/43-1/PROC/reunion-14/temoignages.