version PDF

COMMUNIQUÉ: S’OCCUPER DE LA SANTÉ MENTALE ET DU BIEN-ÊTRE EN CETTE PÉRIODE DIFFICILE

Déclaration du Comité d’action

Notre comité existe afin d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID-19, tout en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se soutiennent mutuellement guident tous nos efforts.

Effets de la pandémie sur la santé mentale

Les effets négatifs de la pandémie de COVID-19 et des perturbations connexes sur la santé mentale sont bien documentési. En effet, la population canadienne connaît une baisse de son bien-être psychologique et émotionnel depuis mars 2020. Certes, l’accès aux vaccins a apporté un certain soulagement et, pour certaines personnes, la souplesse accrue offerte par le télétravail a effectivement entrainé une diminution du stress; cependant, le contexte d’incertitude continue de peser sur la santé mentale de bien des gens à l’échelle du pays. Les membres de la magistrature et du personnel judiciaire ainsi que les professionnels du droit n’ont pas été épargnés par ces répercussions négatives. Ainsi, en tant que fournisseurs d’un service essentiel à la population, les tribunaux du Canada se sont transformés rapidement et radicalement afin de poursuivre leurs activités malgré la pandémie. Le dépôt et le traitement électroniques des documents, les réunions virtuelles et l’utilisation d’une version améliorée des modes substitutifs de résolution des différends sont devenus des pratiques courantes et non plus le domaine de quelques précurseurs en la matière. D’une part, on peut se réjouir du déploiement élargi de ces mesures, puisqu’il s’agit d’un progrès attendu depuis longtemps pour la modernisation des tribunaux, mais d’autre part, il est important de noter que ces nouvelles façons de travailler ont agi comme un facteur de stress supplémentaire pour certains acteurs du système de justice, en plus du sentiment d’appréhension généralisé qu’a entraîné la pandémie.

Les recherches montrent aussi que la pandémie a des effets variables au sein de la population canadienne, accentuant ainsi les inégalités socialesii. Il en résulte l’isolement des personnes en situation de handicap; un nombre disproportionné de pertes d’emploi chez les immigrants récents; un risque accru chez les personnes en situation d’itinérance; une pression accrue sur les pourvoyeurs principaux de soins – souvent des femmes – sur qui repose la responsabilité principale de prendre soin des enfants, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap; et les difficultés quotidiennes auxquelles les Autochtones et les personnes racisées faisaient déjà face. Pour ces personnes, les tensions occasionnées par la pandémie sont venues s’ajouter à d’importants facteurs de stress déjà présents dans leur vie, risquant du même coup d’accroître les conséquences sur leur santé mentale. Les gens qui avaient au préalable des troubles d’anxiété ou des troubles de l’humeur sont aussi touchés plus durement que les autres par la pandémieiii. Tout cela a forcément des répercussions sur le système judiciaire du Canada. Tout d’abord, les personnes qui étaient préalablement aux prises avec des troubles de santé mentale ou d’autres facteurs de marginalisation se retrouvent en nombre disproportionné parmi les usagers des tribunaux canadiensiv. Ensuite, les membres du personnel judiciaire, les professionnels du droit et les juges subissent aussi des pressions quotidiennes qui peuvent avoir un effet négatif sur leur santé mentale. Par exemple, bon nombre d’intervenants du système judiciaire continuent de concilier le télétravail, y compris la tenue d’audiences en ligne, avec l’obligation de s’occuper des personnes à charge à la maison. Certains membres de la magistrature, qui, de par la nature de leurs fonctions, travaillent déjà de façon indépendante, sont devenus encore plus isolés pendant la pandémie. Plus généralement, les recherches indiquent que, pour toutes sortes de raisons, l’incidence de la dépression, de l’anxiété et de la toxicomanie ou de l’alcoolisme est plus élevée dans la communauté juridique que dans la population généralev. Compte tenu de tous ces facteurs, il va de soi que la pandémie de COVID-19 puisse avoir des effets sur la santé mentale de quiconque se trouve dans une salle d’audience, qu’il s’agisse d’un lieu physique ou virtuel.

Nous ne savons pas encore combien de temps durera la pandémie, mais il est certain que le système judiciaire du Canada ne fonctionnera plus jamais de la même façon qu’avant, même lorsque les tribunaux reprendront pleinement leurs activités et que le pays se sortira de la pandémie. Comme nous l’avons fait remarquer ailleurs, l’idée que « les tribunaux doivent tirer parti de cette expérience fortuite d’innovation, tant pour atténuer les effets prolongés de la pandémie sur l’accès à la justice que pour adapter le système de justice à la réalité du 21e siècle, fait l’objet aujourd’hui d’un large consensus au sein de la communauté juridique ». Partout au pays, les tribunaux et les professionnels du droit évaluent quels processus adoptés au cours de la pandémie seraient utiles à conserver, et dans quelles circonstances ils le seraient. L’efficience et l’efficacité sont des facteurs importants à prendre en compte dans le contexte actuel des tribunaux, qui voient leur arriéré augmenter et les retards s’accumuler en raison de la pandémie. Mais, tandis même que les discussions ont lieu à cet égard, des personnes de l’ensemble du secteur expriment des préoccupations concrètes à propos des effets de tous ces changements sur la santé mentale et le bien-être des membres de la communauté juridique et de la communauté de l’administration des tribunaux. Après les nombreuses adaptations rapides qui se sont succédé pendant cette crise, il y a une certaine lassitude à l’égard du changement et, de ce fait, la charge de travail à venir peut sembler difficile à surmonter. Le Comité d’action est à l’écoute et considère que les préoccupations en la matière sont justifiées.

Pistes de solution

Pour la suite des choses, les leaders des tribunaux et de la profession juridique peuvent appuyer la santé mentale et le mieux-être en gardant à l’esprit les quatre piliers d’action interdépendants suivants:

  • veiller au bien-être en milieu de travail pour prévenir ou atténuer les effets négatifs sur la santé mentale;
  • continuer de faire de la sensibilisation et de contrer la stigmatisation relativement à la santé mentale;
  • fournir le soutien et les soins requis aux personnes qui vivent des difficultés en matière de santé mentale, en s’appuyant sur des conseils d’experts;
  • donner l’exemple.

Nous constatons que bon nombre d’organisations canadiennes de professionnels du droit comptent déjà la santé mentale et le bien-être parmi leurs priorités pour leurs activités actuelles et futures. Les ressources ne manquent pas en la matière, et un inventaire préliminaire, non exhaustif, des ressources canadiennes pertinentes est annexé au présent document. Il n’existe pas d’approche universelle en matière de santé mentale et de bien-être, mais parmi les idées et les pratiques exemplaires proposées par les experts qui ont élaboré ces ressources, il y en a un bon nombre qui pourraient vraisemblablement être adaptées par les responsables des tribunaux et de la communauté juridique, lorsque cela est possible.

Reconnaissant que la pandémie crée des contraintes au niveau des opérations, les suggestions que le Comité d’action souhaite souligner aux fins d’examen sont les suivantes:

  • Faire preuve de leadership en lançant des discussions sur l’importance du bien-être et de la santé mentale en milieu de travail afin de faire de la sensibilisation et de contribuer à réduire la stigmatisation relative à la santé mentale. Plus précisément, reconnaître que les problèmes de santé mentale sont une question de vulnérabilité humaine et de circonstances de vie d’une personne, et non un reflet de son caractèrevi.
  • Adopter une perspective relative à la santé mentale et au bien-être dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, des programmes, des procédures et des mesures individuelles, en accordant une attention particulière aux personnes qui risqueraient d’être désavantagées;
  • Établir les priorités et adopter une approche graduelle relativement à la transition post-pandémique et aux changements en milieu de travail durant la pandémie, dans la mesure du possible, conformément aux principes de gestion du changement;
  • Réfléchir de façon créative aux façons de gérer la charge de travail;
  • Dans la mesure du possible, veiller à ce que chaque personne ait la formation et les aptitudes nécessaires pour utiliser les nouvelles technologies et les nouveaux processus qui seront introduits pendant la pandémie et/ou maintenus après la pandémie;
  • Éviter de négliger la santé mentale et le bien-être des membres du personnel qui demeurent en télétravail, par choix ou par nécessitévii. Pour réduire le sentiment d’isolement, prendre le temps de communiquer sur les plans personnel et social avec vos collègues qui travaillent à distance.

L’une des meilleures façons de prendre acte des énormes pertes humaines que cette pandémie a causées à notre pays serait de prendre toutes les mesures à notre portée pour assurer notre santé et notre bien-être collectifs. Plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres. Cela exige assurément de continuer à favoriser l’accès à la justice et la réponse aux besoins des personnes marginalisées au sein du système judiciaire, et de faire preuve d’une plus grande empathie à l’égard des usagers des tribunaux qui essaient de s’y retrouver dans un système en crise. Aux personnes qui travaillent dans le système de justice, nous demandons en outre de faire preuve envers elles-mêmes d’une indulgence équivalente à l’empathie témoignée aux autres.


________________

i Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, par exemple, effectue régulièrement des sondages auprès de membres de la population canadienne à propos de leur santé mentale et de leur consommation d’alcool et de drogues pendant la pandémie : https://www.camh.ca/en/camh-news-and-stories/a-third-of-canadians-report-anxiety--over-return-to-pre-pandemic-routines#francais.

ii Voir par exemple Statistique Canada, Une série de présentations de Statistique Canada sur l’économie, l’environnement et la société et La COVID-19 au Canada : le point sur les répercussions sociales et économiques après un an. Voir aussi Santé publique Ontario, « Mesures de protection de la santé pour les personnes en situation d’itinérance durant la pandémie de COVID-19,» (3 février 2021).

ii Voir par exemple , Gordon J.G. Asmundson et al, « Do pre-existing anxiety-related and mood disorders differentially impact COVID-19 stress responses and coping? » Journal of Anxiety Disorders 74: 102271 (août 2020).

iv Voir par exemple Commission de la santé mentale du Canada, « La santé mentale et le système de justice pénale: Ce que nous avons entendu », (2020): p. 1.

v Voir par exemple Stephanie Nemeth, « Addressing the Elephant in the Legal Profession: The Lawyer’s Struggle with Mental Health, » Saskatchewan Law Review, CanLIIDocs 4037 (2019).

vi Doron Gold, «Debunking the Lone Sufferer Myth Once and For All, » dans « Managing the Second Wave: CPD and Resources on Mental Health and Resilience, » Toronto Lawyers Association, (5 février 2021): p.8.

vii Spencer McDonald and Juliana Orlando Rohr, «Changes in the Canadian Labour Market Resulting from the Pandemic, » dans Patrick Deustcher, Don Drummond and Juliana Orlando Rohr, “The Future of Work Post-Pandemic,” Queen’s University School of Policy Studies, (août 2020): p.35.